Le phénomène Stalker 2 : la guerre des manettes

4 décembre 2024
Attendue depuis douze ans, la dernière version du jeu vidéo ukrainien légendaire est sortie le 20 novembre dernier. A Kyiv, les médias et les politiques ont salué ce lancement comme un exploit en temps de guerre. 1 million de copies a été vendue en moins de deux jours. De quoi être l’objet d’une opération de désinformation venant de Russie.
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La sortie de S.T.A.L.K.E.R. 2 : Heart of Chornobyl a été plusieurs fois repoussée ces dernières années. C’est peu dire qu’elle était attendue. Annoncé pour 2018, le jeu de GSC Game World, l’un des développeurs de jeux vidéos les plus anciens et les plus importants d’Ukraine, a finalement vu le jour grâce à la résilience de son studio de développement. Car c’est bien la guerre totale menée par la Russie qui a bouleversé la genèse du jeu vidéo.

Face à l’invasion russe, la grande majorité des salariés (plus de 400 personnes) s’est exilée de Kyiv jusqu’à Prague, en République tchèque, quand une minorité est restée sur place, continuant de travailler sur le jeu malgré les bombardements russes et les coupures d’électricité. Plusieurs développeurs se sont quant à eux engagés sur la ligne de front.

C’est notamment le cas de Volodymyr Yezhov, l'un de ses développeurs, décédé en défendant Bakhmout en décembre 2022. Son visage a d’ailleurs inspiré le personnage de Loki, le héros du jeu.

Lui qui disait “créer de nouveaux mondes”, avait notamment participé à la création de S.T.A.L.K.E.R. : Clear Sky et Cossacks. Un des joueurs d’e-sports les plus connus d’Ukraine, il avait aussi participé à la création du jeu vidéo StarCraft sous le surnom de « Fresh ». A partir de 2014, Volodymyr Yezhov, avec certains de ses camarades, avait organisé des entraînements militaires et formé un peloton de volontaires. Il avait combattu bénévolement dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine. Il était devenu instructeur et avait ensuite rejoint une organisation de défense des droits de l'homme pour défendre les droits des anciens combattants.

Serhiy Hryhorovytch, le fondateur de la société, a quant à lui créé une association d’aide à l’armée ukrainienne et une école d’opérateurs de drones.

Le jeu, qui se situe dans la zone d’exclusion de Tchernobyl réinventée en champ de bataille où se croisent milices et mutants, est donc une vitrine de la résilience de l’Ukraine face à l’agresseur russe. A tel point que les députés ukrainiens ont salué la sortie de S.T.A.L.K.E.R. 2 depuis la tribune de la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien, le qualifiant de réussite de la diplomatie culturelle. Les développeurs du jeu vidéo ukrainien ont quant à eux annoncé la vente d'un million d'exemplaires en deux jours après sa sortie.

Campagne de désinformation russe

Devenu une arme culturelle, le jeu, qui ne sera pas vendu en Russie et exclut les voix off russes, est du même coup devenu une cible pour le Kremlin. L’équipe avait déja subi des menaces et des tentatives de piratage russe. Désormais, elle est la cible de fake news venant tout droit de Moscou. Des journalistes ont ainsi reçu, par mail ou sur Telegram, une vidéo truquée, imitant les codes du média américain WIRED. Cette fausse vidéo prétend que le jeu serait un outil d’enrôlement, destiné à collecter des données personnelles pour envoyer des Ukrainiens au front. Le jeu collecterait secrètement les données personnelles (nom, adresse IP, localisation) des joueurs. Raison pour laquelle cette vidéo recommande de boycotter le jeu. Une opération de désinformation russe qui assure que GSC Game World, le développeur de S.T.A.L.K.E.R 2, a même conclu un accord avec le gouvernement ukrainien afin d’obtenir des fonds pour le jeu en échange de l’aider à trouver ces hommes susceptibles d’être mobilisés pour la guerre.

Où comment un jeu vidéo est aussi devenu un enjeu géopolitique en raison de la guerre.

En 2007, à sa sortie, Stalker, ce jeu de tir à la première personne conçu en Ukraine, avait connu un succès sans précédent pour une production venue de l’Est. Situé dans “la Zone” – la zone d’exclusion autour de la centrale de Tchernobyl, établie après la catastrophe nucléaire de 1986 –, il avait conquis les gamers en mêlant action, horreur et réflexion. Près de trois après que le site, situé à 150 kilomètres au nord de Kyiv, soit tombé aux mains des Russes le 24 février, au premier jour de l’invasion, et qu’ils s'en soient finalement retirés le 31 mars, S.T.A.L.K.E.R 2 est donc pour les Ukrainiens, le symbole d’une victoire dans cette guerre dont ils ne voient pas la fin.

Audrey Lebel
Journaliste indépendante