« Santé, bonheur, et un ciel en paix ! »

11 août 2024
Iouri Tioutiouchkine collectionne depuis l’adolescence les cartes postales d’époque. C’est à ce passionné de clichés anciens que l’on doit une importante archive photographique de paysages urbains ukrainiens des XIXe et XXe siècles.
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Iouri Tioutiouchkine se passionne très jeune pour les cartes postales représentant sa ville natale de Kropyvnytsky. Elles le font voyager dans le temps et dans un monde qui n’existe plus. « Un jour, ma mère m’a offert cette carte. On y voit cinq clichés de Kropyvnytsky. Elle m’a captivé. » C’est le début d’une passion à laquelle il consacrera sa vie tout entière.

« Bonjour d’Elizavetgrad »

Iouri Tioutiouchkine naît en 1950 à Kirovohrad (Kropyvnytsky). Vers l’âge de 17 ans, il commence à collectionner les cartes postales. « À l’époque, il y avait quelques grands collectionneurs en ville, comme Olexandre Ilyine et Ihor Babansky. J’avais réussi à entrer en contact avec eux. Ils m’ont beaucoup appris. Ils ne s’intéressaient pas particulièrement aux cartes postales, mais ils m’aidaient, car cela leur faisait plaisir. Ils étaient heureux de partager avec moi ce qu’ils savaient de notre ville. Pour tout vous dire, ils n’avaient personne d’autre avec qui partager leur passion. »

Bien qu’il ait sillonné l’Ukraine tout entière à la recherche de cartes postales, Iouri Tioutiouchkine admet qu’il s’intéresse surtout à l’histoire de sa ville d’origine. « J’aime ma ville et j’ai toujours été curieux de savoir à quoi elle ressemblait autrefois. » Une curiosité qui n’a pas toujours été facile à satisfaire. Kropyvnytsky étant peu représentée dans la culture populaire, les propriétaires de cartes postales sont peu disposés à se séparer de leurs biens. À l’époque, le seul moyen de dénicher des exemplaires rares est le troc. « Parfois, j’ai négocié l’acquisition d’une carte postale pendant deux ou trois ans ! » À Kharkiv, Kyiv et Odessa, il rencontre des collectionneurs qui refusent de lui vendre leurs pièces. « Ils me disaient : “À quoi bon les vendre ? Pour avoir de quoi s’acheter un pot de kéfir ?” » D’autres l’assurent que leur collection personnelle n’a aucune valeur. « Souvent, l’on m’a dit : “Oh, je n’ai rien de bien intéressant.” Alors je persévérais et leur disais : “Et si l’on regardait ensemble ?” C’est dans ces occasions que j’ai déniché certaines pièces vraiment uniques. Une fois, j’ai découvert une carte postale représentant un magnifique pont en acier, à Kropyvnytsky, qui n’existe plus aujourd’hui. »

Au fil de ses rencontres avec des personnes âgées, des descendants de la grande noblesse, des propriétaires terriens et des propriétaires d’usines, Iouri réussit à faire l’acquisition d’un nombre important de cartes postales et découvre l’histoire de chacune d’entre elles.

Photographie publiée dans le recueil « Elizavetgrad en cartes postales »
Photographie publiée dans le recueil « Elizavetgrad en cartes postales »
Photographie publiée dans le recueil « Elizavetgrad en cartes postales »
Photographie publiée dans le recueil « Elizavetgrad en cartes postales »

Sa persévérance finira par payer. Nous devons à ce collectionneur passionné une importante archive de photographies de paysages urbains, qui est aussi le fruit des nombreux déplacements professionnels qu’il effectue en tant qu’employé d’une usine du secteur aéronautique. Lors de ces voyages, il agrémente sa collection de tirages d’époque (XIXe et XXe siècles), de cartes de Noël et du Nouvel An, de photographies issues d’archives personnelles et même de lettres de soldats datant de la Première Guerre mondiale.

Ces cartes postales sont souvent le reflet de l’époque à laquelle elles ont été écrites et envoyées. « Mis à part les traditionnels vœux de bonheur et de santé, on lit souvent : “Je vous souhaite un ciel en paix.” Dans les années 50 et 60, on se le souhaite au Nouvel An ou au mois de mai, lors des commémorations de la fin du conflit. Les expéditeurs de ces cartes postales avaient traversé des choses difficiles. Cette phrase me touche particulièrement, maintenant que nous vivons la guerre et que je comprends réellement le sens de ces mots. »

Les cartes postales « maison » sont caractéristiques de l’après-guerre. En effet, l’industrie papetière n’en produit pas assez pour répondre à la demande croissante, à une époque où il est coutume d’envoyer ses vœux. Des images datant d’avant la révolution sont photographiées à nouveau pour fabriquer des cartes où l’on peut lire « Je t’aime et ne t’oublierai pas » ou « Attends-moi, comme je t’attends ». Iouri se souvient bien de ces cartes artisanales, souvent vendues par des personnes sourdes dans les trains.

Carte postale pascale. Ces pièces datant du XXe siècle sont rares, en raison de la censure soviétique.

Composée de pièces rares, la collection de Iouri Tioutiouchkine est en accès libre. Les clichés qu’il est parvenu à sauver de l’oubli illustrent désormais de nombreux articles d’histoire et sont exposés dans des musées municipaux. Et pour rendre hommage à sa ville natale, Iouri a rassemblé toutes les cartes postales représentant Kropyvnytsky dans le recueil et livre d’histoire Elizavetgrad en cartes postales.

Ce travail de « sauvetage » se poursuit aujourd’hui, car depuis que le ciel ukrainien est à nouveau en guerre, au mépris des vœux formulés par les générations passées, ce patrimoine culturel est menacé.

Mon seul espoir, ce sont les archives et les musées. Petit à petit, nous numérisons les collections. En réalité, c’est le seul moyen de les préserver.

  • Présentation vidéo du recueil photographique Elizavetgrad en cartes postales
  • Échantillon de la collection de cartes postales thématiques de Iouri Tioutiouchkine (dont plusieurs représentant Napoléon)
  • Archive numérisée de Iouri Tioutiouchkine (cartes et enveloppes postales, capsules et étiquettes de bouteilles, emballages de chocolats, billets de loterie)
Lisa Djoulaï
Traduit par Louise Henry, rédactrice et traductrice à UkraineWorld Français