Dans le tourbillon de la guerre, il est important de ne pas se perdre soi-même et de ne pas oublier ceux pour lesquels on a pris les armes.
Orest, carrure imposante et air résolu, est plutôt du genre intimidant, mais à sa manière de parler, on découvre un homme au tempérament mesuré, plein de bienveillance et de compassion.
Il s’est engagé dans l’armée en tant que volontaire au début de l’invasion à grande échelle. Marié, il a une fille de neuf ans et un fils d’un an et demi qui l’attendent à la maison.
Vétérinaire de formation et de métier, il s’adonne dans son temps libre à la menuiserie.
« J’aime travailler le bois. C’est une matière chaude et vivante. »
Il n’avait aucune expérience militaire, mais était endurci au froid, aux conditions difficiles et aux lourdes charges grâce à ses randonnées en montagne.
« La guerre, c’est comme la rando : mieux on est équipé, moins on se met en danger. »
Son surnom, il le doit à ses camarades de randonnée et à sa manière, lente comme celle d’un ours, de marcher.
La formation militaire
« On n’est pas formé avant d’arriver sur la ligne de contact. Surtout si on n’a jamais eu affaire à des armes auparavant. Quand ça vole au-dessus, quand ça tire, quand ça tombe tout autour, là on peut perdre ses moyens. Les centres de formation ne nous apprennent pas tout ça. »
Au début de l’invasion à grande échelle, la brigade d’Orest a été envoyée combattre dans des zones très dangereuses, à Krasnopillia et à Dolyna, dans la région de Donetsk.
« Le paysage se fait défigurer par les chars, les éclats d’obus volent, les avions volent, les hélicoptères frappent… Toi, t’es là et tu te dis “Mais qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qu’ils veulent de moi et qu’est-ce que je suis censé faire ?”, se souvient Orest, d’une voix amusée. Dans ces moments-là, il faut rester maître de soi. Oui, c’est effrayant, mais en tant que soldat, c’est ton travail. Tu dois l’accepter et faire de ton mieux pour t’adapter. »
Le développement personnel en temps de guerre
« Le soldat a trois priorités : dormir, boire, et, quand il a suffisamment dormi et a pu faire un brin de toilette, se former en lisant, en regardant des vidéos, et former ses subordonnés. C’est important. Certes, on ne peut pas se préparer à toutes les situations, loin de là, mais quand on fait l’effort de perfectionner ses compétences, alors on augmente considérablement ses chances de réussite — et de survie — pendant une mission de combat.
Les gestes, le maniement des armes doivent devenir automatiques. Quand on se retrouve sur le front, on peut être fort comme un lion, en fin de compte, ce n’est qu’une question d’instinct et de mémoire musculaire.
Plus j’avance et plus je réalise que je dois apprendre et me former en permanence. Plus j’acquiers de l’expérience, et plus je réalise que je ne sais presque rien. »
L’honneur dans la profession militaire et la « Sovietchyna »
« L’armée a besoin de se réformer radicalement. Les mentalités doivent changer, tant dans la société que chez les militaires. Le nouveau modèle devra être basé sur la dignité, l’honneur et la loyauté. Nous nous devons d’être exemplaires. »
Il faut s’éloigner de ce stéréotype soviétique selon lequel tous ceux qui n’ont pas fait d’études et ne veulent rien faire doivent rejoindre l’armée.
« Un soldat exemplaire, c’est une personne qui montre aux autres ce pour quoi elle se bat. C’est une personne physiquement et intellectuellement compétente qui ne se repose pas sur ses lauriers et se forme en permanence. Une personne qui, en plus de ses entraînements militaires, lit de la littérature classique. Une personne qui cède sa place dans le bus, ne jette pas ses déchets par terre… Bref, un soldat ukrainien, c’est quelqu’un de respectueux, de civilisé. Quelqu’un qui montre aux autres par ses actes et son travail que quand on veut, on peut. »
Orest évoque aussi le problème du sexisme dans l’armée, un relent de l’époque soviétique. Dans son unité, les femmes sont surtout présentes en qualité d’aides-soignantes ou font le travail administratif. Les commandants plus âgés ont du mal à envisager qu’une femme puisse être une force de combat à part entière sur le front.
« Moi, je n’ai rien contre les femmes dans l’armée. Si une femme sait tirer, pourquoi ne pourrait-elle pas être tireuse ? Et si elle veut faire des tâches administratives, c’est très bien aussi. C’est un travail nécessaire. »
La peur et le soutien entre frères d’armes
« La peur ne s’estompe pas avec le temps. Quelqu’un qui n’a pas peur ne fera pas long feu sur le front. La peur, c’est naturel, c’est même une bonne chose. Il faut être conscient qu’à tout moment, tout peut arriver, tout peut changer.
Au front, on prend soin de soi, mais on prend soin aussi de ses frères d’armes. C’est en s’entraidant qu’on parvient à gérer l’angoisse et le stress. Personne n’y échappe. »
Le plus important, c’est de ne pas montrer sa peur. De faire l’effort de parler clairement. D’expliquer qu’il y a toujours une issue, que tout n’est pas perdu, peu importe la situation.
« Tous mes frères d’armes sont exceptionnels, de vrais professionnels qui veulent faire de grandes choses. Je suis très heureux de les connaître et d’avoir l’honneur de combattre à leurs côtés. Je ne le dis pas toujours, mais je les aime tous, beaucoup. Ils me sont d’un soutien immense. »
Orest est autrement plus modeste quand il s’agit de parler de lui : « Je ne suis qu’un petit rouage dans un grand système, je fais juste mon travail. »
Cette modestie est commune à de nombreux soldats ukrainiens, qui minimisent souvent l’importance de leur contribution. En réalité, ces « rouages », par leur travail appliqué et coordonné, sont les garants de la cohésion dans l’armée.