Le 24 février marquera deux ans depuis le début de l'invasion russe. Le jour du 24 février 2022 restera à jamais gravé dans la mémoire collective des Ukrainiens.
La tension et l'anxiété étaient palpables depuis un moment. Les présentateurs des journaux télévisés nous mettaient en garde et nous expliquaient comment préparer un sac d'évacuation.
Certains étaient persuadés que la guerre était inévitable, d'autres ont refusé d'y croire jusqu’à ce que l'Ukraine tout entière soit secouée par les bombardements russes le matin du 24 février.
Nous avons regardé avec horreur par la fenêtre, voyant des volutes de fumée noire s’élever dans l’air. Aux infos, on entendait les premiers signalements de victimes civiles.
La prise par les Russes de la capitale, vouée à tomber en trois jours selon eux, a échoué. L’invasion a uni les Ukrainiens et les troupes russes se sont heurtées à un mur de résistance dès le premier jour.
Nombreux étaient ceux qui prenaient les armes pour la première fois pour défendre leur pays, leur famille et leur maison. Les centres de recrutement militaire ont été pris d’assaut dès les premières heures. Dans la file d’attente, on pouvait à peine se mouvoir. En quelques semaines, près de 100 000 volontaires ont rejoint les rangs de la défense territoriale.
Cette guerre a tout changé. Elle nous a appris la résilience, le courage et la détermination.
À la veille de ce tragique anniversaire, des Ukrainiennes se souviennent de comment tout a commencé.
Anna Domodiedova de Lyssytchansk
« Je ne m’attendais pas du tout à ce que la guerre commence. À Lyssytchansk, la vie était calme et paisible et chacun vaquait à ses occupations. À l’époque, notre appartement était en travaux et je venais d’avoir un bébé. Le premier jour, au petit matin, j’ai entendu comme un bruit étrange. Puis, vers 7 heures du matin, le sifflement a commencé. Le ciel était lacéré de traînées rouges. À quelques pâtés de maisons de chez moi, les Russes ont frappé un immeuble de neuf étages. Ils l'ont frappé en plein milieu. Il y a eu d'autres explosions dans la soirée. Il n'y avait pas d'installations ni de bases militaires à cet endroit. Ensuite, tous les jours, tous les matins, des avions survolaient la ville. »
Nina Biletska de Tchernihiv
« La guerre a commencé à 4 heures du matin. Cette guerre criminelle et meurtrière. La Russie est entrée en guerre contre l'Ukraine pacifique. Elle a d'abord bombardé toutes les installations militaires, puis les bâtiments résidentiels, les écoles et les jardins d'enfants. Et lorsque nos militaires ont riposté, les Russes ont commencé à tuer des civils. Nous vivions dans un abri au sous-sol – deux enfants, trois vieilles dames et deux adultes. Le 7 mars, au douxième jour de la guerre, nos militaires ont repoussé les attaques ennemies toute la matinée. Puis il y a eu une pause. Pas d’électricité, pas de gaz, pas d’Internet. Aucune connexion avec le monde extérieur. La moitié de la ville est détruite. Le centre-ville est détruit. Notre village de Novosselivka est détruit. Les personnes qui ont la possibilité de fuir le font. Les Russes campent dans le petit hameau de Rivnopillia, au nord de la ville, et ils frappent nos quartiers. Seigneur, quand tout cela finira-t-il ? »
Ania Zlenko de la région de Kyiv
« Je me suis réveillée à 5 heures du matin avec les mots de mon mari : “ça y est, la guerre a commencé”. Je ne savais pas du tout ce qu'il fallait faire. Nous n’avions pas de voiture, alors nous avons pris des billets pour Kyiv. Je regarde par la fenêtre, je vois que la file d'attente à la station-service fait déjà un kilomètre de long. Les sirènes d’alerte aérienne ne fonctionnent pas encore et les chaînes Telegram d’informations en continu n’existent pas encore. Notre seule source d'information pour l’heure, c’est le journal télévisé, qui passe en boucle sur toutes les chaînes. Ils ne parlent que de Soumy et des colonnes de blindés ennemis qui traversent déjà son centre-ville. Notre petit Mark est très calme. Il ne parle presque pas et ne veut pas manger. Première nuit blanche. Tout le bâtiment tremble. On entend des explosions et le grondement menaçant des blindés. »
Maryna Baliaba de Boutcha
« À 6 heures du matin, mon beau-père m’a appelée pour me dire que la guerre avait commencé et que je devais rester à la maison au lieu d'emmener mon fils au jardin d'enfants. Je me suis dit : “Qu'est-ce qu'il dit ? Ce n'est pas possible !” Je me suis levée et j'ai ouvert la fenêtre. Le froid était saisissant. J’entendais des sons que je découvrais pour la première fois. J’avais déjà entendu quelque chose de similaire lorsque j’étais allée voir mon mari en permission à Marioupol en 2015. Je me rappelle avoir pensé : “Mais attendez, je ne suis pas à Marioupol, je suis à BOUTCHA ! On est en 2022 ! La banlieue de Kyiv ! Ça ne peut pas être un bombardement !” Ç’a été un choc. Je n'y croyais pas. J'ai appelé mon mari et j'ai pleuré. Il m'a dit de faire mes bagages et de ne pas quitter notre fils une seule seconde. Pour la première fois de ma vie, j'ai ressenti une peur sauvage, animale. »
Margaryta Savytska de Soumy
« La région de Soumy étant située juste à la frontière avec la Russie, le 24 février, les troupes ennemies l’ont immédiatement traversée pour marcher sur Kyiv. Au début, je ne pensais pas qu'elles toucheraient à la population. Pendant les deux premiers jours de la guerre, j'ai essayé de travailler à distance. Nos gars de la défense territoriale ont chassé l'ennemi de la ville de Soumy, alors qu’ils étaient pratiquement sans armes. J’entendais très distinctement tous les bruits de combat. Quand les Russes ont démoli des maisons par un tir de missile et que des gens sont morts, j’ai réalisé que les civils étaient aussi une cible pour eux. Alors j’ai commencé à vivre dans un sous-sol glacé. »
Angelika de Kharkiv
« Le 24 février, à 5 heures du matin, j'ai entendu de fortes explosions. Tout d’un coup, il n'y avait plus d'eau, plus de wifi, plus de télévision, et j'avais malencontreusement oublié de recharger mon téléphone portable. Je n’ai pas réalisé tout de suite l’ampleur de la tragédie qui venait de s’abattre sur nous. Pas un seul de mes amis partis le premier jour ne m’a appelée. Je n’oublierai jamais cette peur. Impossible de manger, de boire, de dormir. Nous avions pour seul refuge le métro en bas de chez nous. Nous y passions des jours d’affilée, et après, nous avions peur de rentrer chez nous. Nous avons trouvé un chauffeur pour nous conduire dans un endroit sûr, mais nous n’avons pas pu partir à cause des tirs d'artillerie très violents et des Russes qui bombardaient les voitures des civils en fuite. Pendant une semaine, nous n'avons pas pu nous rendre à la gare. Une liste de numéros de chauffeurs de taxi circulait sur les réseaux, mais personne ne décrochait. Je comprends, il y avait beaucoup de monde, c’était la panique, tout le monde les appelait. »
Viktoria Kirilova de Kherson
« Le 23 février 2022, tard dans la soirée, j’expliquais encore à mes amis que la guerre était impossible. Je ne croyais tout simplement pas qu'une telle cruauté était possible à notre époque. Le 24 février à 5 heures du matin, j’ai reçu un appel – la guerre avait commencé. J’entendais des explosions, des hélicoptères et des avions de chasse au-dessus de la ville. J’ai demandé à ma mère : “qu’est-ce qu’on fait maintenant ?” Elle ne savait pas. À 6 heures du matin, on faisait déjà la queue à la station-service. Là, l’alerte aérienne a retenti. C'était la première fois que j’entendais ça et je ne savais pas du tout quoi faire. On a tous commencé à courir pour se réfugier à l’intérieur de la station, sans penser au fait que cela ne nous protégerait pas d’une frappe. »
Natalie Al Baz de Tsyrkouny
« Le 24 février, à 5 heures du matin, je me suis réveillée dans le froid, au son des avions de chasse et des explosions qui se rapprochaient. Mon corps a commencé à se contracter sous l'effet de la peur et je me suis sentie obligée de prier. Nous n’avions plus d'électricité, plus de chauffage, plus Internet, plus de connexion mobile. La pompe à eau et le chauffe-eau à gaz ne fonctionnaient plus. C'était comme si nous étions dans un vide glacial, nous ne comprenions pas clairement ce qui se passait. La maison se refroidissait progressivement et nous n'avions pas fait de courses le soir, ni acheté d'essence, espérant le faire le lendemain matin. Un peu plus tard, j’ai réussi à trouver un coin dans le jardin où mon téléphone captait un peu de réseau et j’ai appelé mes proches. C'est à ce moment-là que j’ai appris qu’une guerre, réelle et terrible, venait de commencer. »
Un jour, les Ukrainiens raconteront les souvenirs du jour où nous avons remporté la Victoire. Mais chaque nom inscrit sur une plaque, chaque corps non identifié et chaque personne murée dans le silence de la peur, de la douleur et du chagrin sont autant d’histoires personnelles que l’on n’entendra jamais.