Les vêtements de Daria sont tachés de cendres, car tout ce qui reste de la maison — débris éparpillés, meubles éventrés, objets du quotidien et babioles en tout genre jadis chéris par leurs propriétaires — en est recouvert d’une couche épaisse. C’est sa première toloka [chantier participatif]. Elle travaille à l’intérieur d'une bâtisse calcinée. Il pleut. L’humeur de la jeune fille est aussi morose que le temps.
C’est dur quand on voit pour la première fois une maison entièrement détruite. Je suis quelqu'un de très empathique et je me souviens que ça m’a beaucoup frappée.
Le travail des bénévoles consiste généralement à collecter tout ce qui reste dans les maisons (débris ou objets restés intacts), à les trier et à les charger dans des véhicules. Il faut essayer de sauver tous les éléments qui pourraient resservir à la reconstruction. Il arrive aussi qu'ils cassent des murs ou installent des fenêtres.

La première fois que Daria a travaillé pour Brave To Rebuild, c’était à Boutcha, ville que les Russes ont ravagée sans merci.
Avec d’autres bénévoles, elle a nettoyé de ses cendres la maison d’Iryna, une entrepreneuse qui est aussi maman et grand-mère. Avant la guerre, elle était très grande, avec un magasin au rez-de-chaussée et les pièces à vivre au premier. Quand les Russes étaient à Boutcha, ils l'ont occupée. En partant, ils y ont mis le feu. De sa maison, Iryna n’a plus que des photos sur son téléphone, seul souvenir du confort dans lequel sa famille vivait avant la guerre. Tout est parti en flammes, rendant vains les efforts, le temps et l’amour qu’elle avait consacrés à son chez-soi… Iryna regrette cela bien plus amèrement que les pertes matérielles qu'elle a subies.
« Ils avaient fait des travaux sur plusieurs années, pour améliorer la maison. Aujourd’hui, il reste encore un magnifique jardin avec des balançoires, où ses petits-enfants jouaient avant la guerre. Et les parterres de fleurs sont toujours aussi soignés. »
Dès qu’elle en a l’occasion, Daria discute avec les propriétaires. Elle est toujours prête à écouter leur peine, parce qu’elle comprend ce que ça veut dire, de perdre quelque chose à cause de la guerre. Mais parfois, l'émotion la submerge.
« On travaillait sur une maison, enfin, sur ce qu’il en restait, parce qu’aucun des murs n’était resté debout. Le vieux propriétaire était assis dans son fauteuil roulant près de sa nouvelle maison préfabriquée, sa petite fille sur les genoux. Et il regardait ces inconnus en train de trier tout ce qu’il avait fabriqué et accumulé tout au long de sa vie. Ça m’a rendue tellement triste. J’ai couru vers un buisson pour pleurer. Puis j’ai attrapé une pelle et je m’y suis remise. »

Daria a déjà participé à plus de vingt tolokas et a pu échanger avec une cinquantaine de personnes dont la maison a été endommagée ou détruite. Elle reconnaît souvent chez ces personnes, qui ont tout perdu et ont besoin d'aide, des comportements d'enfant. Elles se tiennent à côté de leur maison, l’air désemparé. Elles lui rappellent les enfants socialement vulnérables auprès desquels elle travaillait avant.
« Je leur demande toujours si je peux faire autre chose pour me rendre utile. »
Un jour, on lui a raconté la triste histoire d’une petite fille, Éva, qui vit avec sa grand-mère âgée et sa mère handicapée mentale, et qui se sent souvent seule.
Daria, très touchée par cette histoire, a réussi à lever près de 20 000 UAH (490 €) sur Instagram, pour lui acheter le plus de cadeaux possible : des poupées, des slimes et toutes sortes de jouets à paillettes. Avec plusieurs de ses amies, habillées de jupes rigolotes et maquillées comme des princesses, elle est allée rendre visite à la petite Éva pour un après-midi de jeux.
C’est difficile parfois, mais il faut s’engager et interagir avec ces gens. Ce n’est pas sorcier de trouver un peu de temps libre chaque jour pour aider les autres, surtout quand on sait que l’impact peut être significatif.
« Tout commence avec toi ! » La jeune tolokeuse trouve cette phrase un brin banale, mais très juste. Car la guerre en Ukraine a contraint de nombreuses personnes à ne pouvoir compter que sur elles-mêmes. Et pour Daria, la seule manière de construire un avenir, qu'il soit avec ou sans la paix, c'est d'agir.