Dolia, Nedolia, Domovyk… Gare aux créatures de la mythologie ukrainienne (2/2)

26 novembre 2024
En Ukraine, esprits de la forêt, fées maléfiques et autres monstres sont loin d’être des reliques du passé. Petit tour d’horizon, deuxième chapitre.
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Le premier chapitre de ce diptyque est à retrouver ici.


Elles se perpétuent dans les proverbes, les chants et les croyances populaires, sont entrées au panthéon de la littérature ou ont été remises au goût du jour au cinéma. En un mot, les créatures mythologiques continuent de peupler l’imaginaire collectif ukrainien. Si nombre d’entre elles sont l’incarnation de représentations universelles — ainsi, le loup-garou ukrainien s’appelle vovkoulaka, le vampire ukrainien, oupyr, la sorcière, vid’ma et la sirène, roussalka —, d’autres sont spécifiquement ukrainiennes (ou plus largement slaves). C’est naturellement de ces dernières que traite notre article.


Domovyk

Illustration tirée du livre « Créatures magiques de la mythologie ukrainienne. Esprits de la maison » de la romancière ukrainienne Dara Kornii

Il suffit de jurer, de laisser un couteau sans surveillance sur la table ou de cuisiner un plat trop salé pour s’attirer les foudres de Domovyk, un esprit de la maison relevant des mythologies slaves. Ce petit gnome poilu agit généralement en protecteur du foyer, mais prenez garde à ne pas le contrarier (il n’aime pas non plus l’ail ou que la maison soit mal rangée), auquel cas il pourrait s’employer à vous nuire.

Les croyances mythologiques ayant fait l’objet d’une transmission orale [la démonologie ukrainienne prendrait racine à l’ère pré-chrétienne et selon l’ethnographe ukrainien Volodymyr Halaïtchouk, le premier écrit mentionnant l’existence d’un esprit de la maison chez les Slaves orientaux daterait de la fin du XIVᵉ siècle], l’origine exacte de créatures telles que Domovyk reste un mystère. L’écrivain et ethnographe ukrainien Ivan Netchouï-Levytsky [1838-1918] suggère par exemple que Domovyk était jadis un dieu du feu de la maison et du poêle. Il n’existe aucune description communément admise de son apparence et de ses pouvoirs, qui varient selon les régions. Ainsi, il serait invisible, ou visible aux seuls habitants du foyer dans lequel il s’est établi, voire visible uniquement des jeunes enfants. Généralement, il vit derrière le poêle, mais on le trouve aussi dans le grenier ou auprès de la porte d’entrée.


Dolia et Nedolia

Dolia et Nedolia sont deux sœurs rivales. Esprits invisibles aux humains, elles nous accompagnent et gouvernent nos vies de mortels. Dolia, la douce, nous protège de l’infortune et nous apporte bonheur et succès, tandis que sa sœur maléfique Nedolia sème le malheur et la ruine.

Telles les Moires de la mythologie grecque et les Parques de la mythologie romaine, Dolia et Nedolia, représentées comme des femmes filant la laine, étaient des divinités du destin chez les Slaves anciens. Ces derniers priaient Dolia d’intercéder en leur faveur et invoquaient Nedolia pour qu’elle tourmente leurs ennemis. Au fil du temps, Dolia et Nedolia sont devenues des entités plus abstraites. Aujourd’hui, dolia signifie « destin » en ukrainien et nedolia peut être traduit par « mauvais destin » ou « malchance ».


Tchouhaïster

Jadis une divinité de l’ère pré-chrétienne selon certains historiens, Tchouhaïster est un esprit de la forêt relevant exclusivement de la mythologie des Carpates ukrainiennes et des Houtsoules. Il protège les hommes des créatures voleuses d’âme telles que Mavka. Cet être à la taille démesurée (il mesure entre deux et sept mètres de haut) a l’apparence d’un homme entièrement recouvert d’un pelage noir ou blanc et aux yeux bleus.

D’une gaieté folâtre, aimant le chant et la danse, et généralement bien disposé à l’égard des hommes, Tchouhaïster prend parfois la forme d’une tornade [il est traditionnellement surnommé « grand-père venteux » dans un village de l’ouest de la région d’Ivano-Frankivsk] et peut précipiter l’homme vers un danger mortel en l’entraînant dans une danse effrénée. L’historienne ukrainienne Olena Romanova précise qu’il ressemble à Mavka en cela qu’il pousse les hommes à l’excès de jeu et à la démesure.


Aujourd’hui, faire vivre ces êtres mythologiques dans l’imaginaire collectif au travers de la littérature et du cinéma, par exemple, permet au peuple ukrainien de conserver un lien spirituel avec ses ancêtres païens et de s’inscrire dans une histoire très ancienne, là où la Russie voudrait lui imposer une amnésie historique.


Cette série d’articles est le fruit d’un partenariat avec l’Institut ukrainien, agence d’État ukrainienne chargée de promouvoir la langue et la culture ukrainiennes dans le monde par la diplomatie culturelle.


Yelyzaveta Djoulaï || Louise Henry
Journaliste à UkraineWorld || Rédactrice et traductrice à UkraineWorld Français