"Désormais, nous avons des fenêtres et du chauffage, nous pouvons nous réunir dans des conditions normales cet hiver. Quand tout a commencé, il n’y avait rien de tout cela, il faisait très froid", raconte Tetyana, à la tête de la seule bibliothèque du village de Prybuzke, son village natal, dans l'oblast de Mykolaïv. Depuis février 2022, tous les bâtiments ont été détruits, aucun n’a été épargné par les bombardements. "Comme nous sommes près de la frontière avec la région de Kherson, notre village avait déjà été détruit début mars. Ni le conseil du village ni la bibliothèque ne fonctionnait. De nombreux villageois avaient fui vers l'ouest de l'Ukraine”.
Tetyana a été l’un d’eux. Au début de l’invasion à grande échelle, elle aussi a quitté Prybuzke quelque temps pour mettre son nouveau-né à l'abri du danger.
“J’ai dû revenir au village un an après pour récupérer mon diplôme d’études supérieures. J'ai effectué des études de langue allemande et anglaise".
Je pensais qu'il n'y avait plus d'avenir à Prybuzke mais j’ai découvert que les gens revenaient ici, reconstruisaient leurs maisons, vivaient leur vie et espéraient que les choses s’améliorent. J'ai pensé : « Mon Dieu, comme je veux rentrer à la maison ».
Le pas est sauté en avril 2023. Tetyana et sa famille retournent s’installer à Prybuzke, inspirées par le dynamisme des habitants de son village. Au cours de l'été, elle devient directrice de la bibliothèque et se joint ainsi au progrès commun.
Rapidement lui vient l’idée de créer ce club anglophone. D’abord par son amour pour les enfants, par son désir de travailler avec eux, et par la volonté de les distraire des horreurs qui les entouraient.
"Au début, les enfants étaient très renfermés et effrayés. Peu à peu, ils se sont ouverts et nous nous sommes liés d’amitié. Il y a un lien très fort et beaucoup de tendresse entre nous. Je crois qu'ils viennent ici non seulement pour l'anglais, mais aussi pour l'atmosphère que nous avons su créer au sein de ce club. Ils ont progressivement senti que je n'étais pas seulement une enseignante, mais que nous partagions un lieu privilégié où nous pouvions nous réunir et nous soutenir”. Un lieu où les enfants, eux qui ont l’école en ligne, peuvent être ensemble, et où ils se sentent en sécurité.
"Lors de nos réunions, nous oublions les alarmes aériennes, les Shahed et les autres missiles qui volent au-dessus de nous. Nous discutons, jouons à des jeux, chantons parfois, écoutons de la musique, dessinons, et c'est tout."
C'est également le seul endroit où les enfants peuvent s'exprimer publiquement, librement, ce qui est particulièrement crucial en ces temps difficiles.
"Ils ont soif de créer. A chaque fois qu'ils viennent, ils se posent cette question : est-ce qu'on va faire quelque chose aujourd'hui ? Alors, j'intègre la créativité dans nos cours. Par exemple, si on dessine, on apprend les couleurs en anglais ou d'autres mots apparentés."
Pour les adolescents du village, le défi est le plus difficile à relever. Le club de langue de Tetyana dispose d'un groupe senior pour eux, mais le village a peu à leur offrir, reconnaît Tetyana. Pour y remédier, en plus d’administrer la bibliothèque et de diriger un club de parole, Tetyana dirige le conseil des jeunes du village.
« Nous avons de nombreux projets formidables pour notre village et pour notre communauté. Mais ils sont freinés à cause d’un manque de moyens », regrette-t-elle. Certains projets sont au point mort en raison de l’état des bâtiments du village où des activités pourraient se dérouler, mais qui n’ont plus de toit. Le village a récemment reçu une subvention pour équiper un centre communautaire, mais il aurait besoin d'une autre subvention pour des travaux de restauration.
Si tout cela est difficile, les habitants de Prybuzke n'ont pour autant jamais perdu espoir, assure Tetyana. C’est ce qui a d’ailleurs motivé son retour et sa décision de rester et d'élever son enfant là où elle-même était née. Dans l’ensemble, dit-elle, le chagrin partagé des villageois les a même rapprochés.
"Tout cela nous a changé sur le plan émotionnel. Nous sympathisons désormais les uns avec les autres d'une manière qui n'existait pas auparavant, comprenant les problèmes qui nous sont tous arrivés. La même chose est vraie avec les enfants. Au début, ils avaient peur. Maintenant, ils comprennent aussi nos émotions, et estiment que nous formons tous une seule et même famille”.
Partager ses connaissances avec les enfants et les rendre heureux, c'est ce que Tetyana espérait transmettre, c’est ainsi qu’elle envisageait sa carrière. Même si ce nouveau travail est entré dans sa vie de manière inattendue, elle sent qu’elle est exactement là où elle doit être.
Après tout, ce sont les enfants qui perpétueront notre héritage et nos actes, c'est pourquoi Tetyana consacre son énergie à l'avenir malgré les défis du présent.