C’est dans les premiers jours de la guerre à grande échelle, en mars 2022, alors que règnent partout le chaos et la confusion et qu’à la frontière se massent des centaines de milliers de femmes et d’enfants, qu’Oscar arrive en Ukraine. C’est la première fois qu’il se trouve dans une zone de conflit. Olexandra, une Ukrainienne installée depuis longtemps au Danemark, l’a aidé à organiser son voyage. Quand il sera sur le front, elle deviendra sa confidente. « À l’époque, je venais de créer un centre pour l’envoi d’aide médicale en Ukraine, alors mon numéro de téléphone était facilement trouvable. Oscar m’a appelée au début du mois de mars. Je ne le connaissais pas. Il m’a dit qu’il devait se rendre en Ukraine en voiture avec d’autres volontaires, mais qu’il était seul désormais et cherchait quelqu’un pour l’emmener en Ukraine. De ce que j’ai compris, les autres ont eu peur et ont fait machine arrière. »
Oscar n’était pas en grande forme en arrivant en Ukraine, se souvient Olha de Ternopil, une ville de l'ouest de l'Ukraine. Elle et sa famille ont été les premiers à l’accueillir. Il était tombé malade pendant le voyage et n’avait nulle part où dormir. « Je me souviens de mon mari qui m’appelle et me dit : “Écoute, je ne vais pas rentrer seul ce soir. J’ai rencontré une personne formidable qui a besoin de se reposer et de se réchauffer quelque part.” Mon mari était parti se présenter au bureau de recrutement, c’est là qu’ils se sont rencontrés. Le soir venu, nous avons beaucoup discuté, assis dans la cuisine. Oscar buvait du thé au citron. J’étais impressionnée par lui. C’était quelqu’un qui venait d’un pays en paix, où la mentalité était complètement différente, et qui était venu pour nous aider à défendre notre liberté et pour sauver le peuple ukrainien. »
Olexandra, à qui Oscar s’est énormément confié au téléphone, dit que le plus important pour lui, c’étaient les autres. « J’ai toujours été curieuse de ce qui l’avait poussé à venir en Ukraine. Quand on en parlait, il me disait qu’on était tous des êtres humains et que c’était une raison suffisante. » Tous ceux qui l’ont connu, en Ukraine comme au Danemark, louent son abnégation. Son parrain Daniel, un prêtre danois, l’associera toujours à cette vertu. Daniel a rencontré Oscar lorsque celui-ci est venu le voir, en quête de Dieu, peu de temps avant son départ en Ukraine. « Le mot qui me vient à l’esprit, c’est “dévouement”. Il a fait don de sa personne pour aider les autres. Il s’est sacrifié pour autrui. »
Olexandra explique qu’en tant que médecin militaire, Oscar voulait former ceux qui se trouvaient confrontés pour la première fois à la nouvelle réalité de la guerre. « Il savait qu'il y avait beaucoup de volontaires inexpérimentés sur le front. Il sentait qu’il avait quelque chose à leur apporter. » Son travail consistait à évacuer les blessés du champ de bataille et à leur prodiguer des soins médicaux. Il aidait en outre des familles entières à fuir les zones de guerre en leur fournissant des biens de première nécessité. La reconnaissance que lui témoignaient les Ukrainiens était une source de motivation pour lui. Chaque rencontre tissait un peu plus son lien avec l’Ukraine.

Olexandra : « Oscar disait qu’en Ukraine, il avait rencontré beaucoup de personnes reconnaissantes et qu’il ne pouvait pas les laisser tomber. Il disait qu’il ne retrouverait jamais cette chaleur humaine au Danemark, pays qu’il qualifiait de “froid”. Il voyait et sentait ce que les autres ne voyaient et ne sentaient pas : la beauté et la présence de Dieu. Ce sont des choses dont on pourrait penser qu’elles ont disparu d’un pays ravagé par la guerre. Je me souviens d’une photo prise à Lyssytchansk. C’est le printemps, les bâtiments en arrière-plan sont ravagés par les combats. Au milieu de tout cela, il avait réussi à trouver des tulipes. Sur la photo, il en décore son gilet pare-balles. »
Il m’avait alors écrit : “Olexandra, il y a quelque chose de beau ici malgré tout. L’amour existe encore au milieu de tout ce chaos.” J’ai encore son message.
Oscar disait que Dieu lui avait sauvé la vie à plusieurs reprises. « On lui avait confié une voiture. Un peu plus tard, il m’a envoyé une photo de la voiture tout impactée. Son collègue est mort. Un Américain venu en Ukraine avec son épouse. Ce jour-là, c’était Oscar qui devait prendre le volant, mais on l'avait remplacé au dernier moment, car il devait aller chercher quelqu’un à la gare. Plus tard, il m’a dit : “Tu imagines… Ce devait être moi, mais c’est lui qui est parti. Ça aurait dû être moi.” »
Plusieurs fois, après avoir frôlé la mort, ou quand les tirs russes pleuvaient sur leurs positions, il avait appelé Olexandra pour lui dire comme il était miraculeux qu’il soit toujours en vie. Il était convaincu que Dieu l’épargnait pour qu’il puisse mener à bien sa mission. Selon Daniel, Oscar faisait confiance à Dieu et agissait toujours en accord avec sa foi. « Je crois que c’était très important pour lui. Nous l’avons baptisé in extremis, juste avant son départ. Nous étions au courant de son intention d’aller en Ukraine et nous voulions, s’il venait à être tué là-bas, qu’il puisse mourir en enfant de Dieu et avoir la possibilité de le rejoindre aux cieux. »
Olexandra, elle, est à ce jour encore bouleversée par l’héroïsme et la persévérance d’Oscar. Plusieurs fois, il aurait pu rentrer au Danemark pour y retrouver sa vie d’avant. Après tout, il n’avait pas signé de contrat avec les forces armées ukrainiennes. « De ce que je sais, Oscar n’était pas rémunéré. Une fois, ma fille a collecté de l’argent en jouant de la musique et lui a envoyé la somme. Il était tellement ému. » La fille d’Olexandra n’est pas la seule jeune âme à avoir été touchée par la bonté d’Oscar. Les deux filles d’Olha l’ont aussi gardé dans leurs cœurs. « Tous les jours, elles me demandaient quand Oscar viendrait nous rendre visite. Je savais comme elles l’aimaient, alors je leur ai caché la vérité pendant quelque temps. J’avais si peur de briser leurs petits cœurs. Elles lui avaient préparé des cadeaux et lui avaient écrit des petites cartes. Mais elles n’ont pas eu la chance de les lui offrir. Finalement, j’ai trouvé le courage de le leur dire. On a beaucoup pleuré ensemble. Le deuil, c’est un processus long et difficile. »
Olexandra n’a jamais rencontré Oscar en chair et en os. « On s’était mis d’accord sur le fait que lorsqu’il rentrerait au Danemark, on se retrouverait chez moi et on organiserait un barbecue. On avait aussi décidé de fêter la victoire ensemble. À plusieurs reprises, on a essayé de se croiser, mais chaque fois qu’il rentrait au Danemark, j’étais en Ukraine, et inversement. D’une manière ou d’une autre, ça n’a jamais fonctionné, à cause de différentes circonstances, étranges. »
« La dernière fois que j’ai parlé avec lui, se souvient Daniel, c’était environ un mois avant sa mort. J’ai essayé de le convaincre de rentrer du front pour se reposer un peu et voir sa famille. Il n’est jamais rentré. » Oscar sentait pourtant qu’il avait besoin de prendre du repos. Mais il ne voulait pas laisser tomber ceux qui étaient bien plus mal en point que lui. « Il me disait que, psychologiquement, ça allait, mais qu’il avait sans doute besoin de prendre quelques jours, parce que son corps maigrissait. Parfois, il soignait les blessés pendant vingt-quatre heures non-stop. Il se rendait bien compte que son corps était épuisé, mais, intérieurement, il était bien. Il ne ressentait pas de fatigue mentale, parce qu’il savait l’importance de son travail. » Oscar faisait bien plus que procurer des soins médicaux. Il redonnait le sourire aux gens. Il prenait soin des autres et, en retour, les autres prenaient soin de lui.
Les Ukrainiens se souviennent d’Oscar. Son grand amour pour l’Ukraine était un amour réciproque. Quand ils évoquent son souvenir, l’air est comme empli de sa présence lumineuse. Que l’âme de cet homme hors du commun repose en paix.