Vopli Vidopliassova (rock/punk rock)
Nous sommes à l’automne 1987. L’Union soviétique vit son crépuscule. Vopli Vidopliassova (ou VV) est une bande de joyeux lurons de la scène underground qu’un concert dans l’actuel Freedom Hall de Kyiv vient de propulser au rang de stars nationales. Leur tout nouveau tube, Tantsi, invitation à la danse punk et loufoque, fait se déhancher des salles entières. Cette chanson donnera son nom à leur premier album (1989).
Ce groupe est l’un des premiers à importer et populariser le rock occidental en Ukraine. Il va aussi se faire l’ambassadeur du rock ukrainien à l’étranger. Vopli Vidopliassova se produira en Europe, aux États-Unis, en Israël… En France, il est invité par le Printemps de Bourges en avril 1990 et les Eurockéennes de Belfort en juin 1991. Cette année-là, Oleh Skrypka, le chanteur et compositeur du groupe, et Olexandre Pipa, le bassiste, s’installent en France. VV se transforme alors pour un temps en quartette franco-ukrainien, grâce à ses nouvelles recrues, le guitariste Philippe Moja et le batteur Stéphane Mouflier. La chanson Tantsi, traduite par leurs soins dans la langue de Molière, devient Dansez et fait se trémousser les Français. Mais les deux Ukrainiens se lassent de la vie parisienne, difficile, et décident, en 1996, de rentrer en Ukraine. Leur retour engendre un album, Mouzika, sorti en 1997, dont le titre phare est Vesna [Le Printemps].
Si VV est tant aimé de son public, c’est aussi pour l’engagement patriotique de ses membres, qui ont fait le choix, avant l’effondrement de l’Union soviétique, de l’ukrainien pour leurs textes et, nonobstant les difficultés des années 1990, de l’Ukraine pour leur carrière. Ainsi, ces émancipateurs du rock ukrainien deviennent des maîtres à penser pour les premières générations de musiciens d’une Ukraine enfin libre.
Braty Hadioukiny (rock)
Fondé en 1988 à Lviv, en Ukraine occidentale, c’est le groupe qui fait du rock joyeux grand public en Union soviétique. Si leur esprit est similaire à celui de Vopli Vidopliassova, les Braty Hadioukiny ont davantage le verbe satirique, dans le contexte de la dissolution de l’Union soviétique. Leur musique, qui emprunte au rock, au blues, au reggae et au folk, accompagne des textes écrits en sourjyk, dialecte hybride mêlant russe et ukrainien. Le choix de cette langue non normée les distingue des autres et leur donne un côté authentique.
En 1989, ils sont classés deuxièmes dans la catégorie rock du festival Tchervona Routa. Leur première cassette, Vsio Tchotko !, qu’ils enregistrent en tant qu’amateurs, sort dans la foulée, en 1989. Alla Pougatcheva, chanteuse et superstar de la variété russe, en détient une copie, ce qui, estime Serhii Kouzminsky (l’un des membres fondateurs du groupe), contribue à les rendre célèbres dans toute l’Union. Ils gagnent très rapidement en popularité. Pourtant, plus que le désir de célébrité, c’est la liberté nouvelle de jouer du rock dans une Ukraine libre qui les anime. Marqués par leur enfance et leur jeunesse vécues sous le régime soviétique répressif, les Braty Hadioukiny décident de « faire les fous pendant au moins cinq ans ».
Aujourd’hui, les Braty Hadioukiny se produisent toujours. En 2016, par exemple, ils ont joué à plusieurs reprises avec le groupe de post-punk britannique Public Image Limited. Et en 2023, le groupe a effectué une grande tournée ukrainienne, au cours de laquelle il a fait découvrir au public ses chansons nées du contexte de la guerre d’agression russe.
Tsoukor Bila Smert’ (expérimental/avant folk)
Dès 1989, ce groupe kyivien a su donner une définition musicale, dans son style purement expérimental, à un certain esprit de liberté ukrainien. Alors que l’Ukraine est encore sous le joug soviétique, ils refusent d’écrire leurs textes en russe. Tous les membres du groupe, sauf un, ont étudié à l’Académie de musique Reinhold Glière, à Kyiv, et sont des musiciens professionnels. Leur style avant-gardiste est unique : à mi-chemin entre le dark folk baroque, la musique ethno-gothique et la musique acoustique alternative, il intègre en outre des éléments caractéristiques de la musique populaire traditionnelle ukrainienne.
Leur album le plus célèbre, Manirna Mouzyka [Musique maniérée], produit par la société polonaise Koka Records, sort en 1990. À l’époque, de nombreux artistes de musique expérimentale ukrainiens, en marge des circuits traditionnels de diffusion commerciale, se tournent vers cette maison de disques. Elle va donner un coup d’envoi à la carrière de Foa Hoka, de Kazma-Kazma, d’Ivanov Down et de Viy, parmi d’autres. Cette constellation d’artistes forme une scène musicale alternative révolutionnaire, qui est encore admirée aujourd’hui.
Viy (dark folk)
Viy est l’un des plus vieux groupes de l’Ukraine indépendante et l’une des premières formations de dark folk ukrainien. Né en 1991, au commencement d’une décennie placée sous le signe des difficultés économiques, mais aussi d’un certain renouveau national, ce groupe va devenir un acteur important de la foisonnante scène musicale kyivienne. Viy donne des centaines de concerts dans toute l’Ukraine, où il gagne rapidement en popularité, et est régulièrement invité à la radio. La maison de disques polonaise Koka Records produira sa première cassette, Wij.
Viy chante la magie ukrainienne, les cosaques, la nature. Sa musique, qui fusionne les styles et les instruments occidentaux et asiatiques, captive le public. Ses tournées en Europe lui assurent une certaine reconnaissance en dehors des frontières de l’Ukraine, mais il ne rencontrera jamais à l’étranger le même succès qu’à la maison.
Dans le second volet de ce diptyque musical, à lire ici, découvrez les artistes qui ont fait vibrer l’Ukraine, de l’indépendance à la guerre.
Cette série d’articles est le fruit d’un partenariat avec l’Institut ukrainien, agence d’État ukrainienne chargée de promouvoir la langue et la culture ukrainiennes dans le monde par la diplomatie culturelle.
